Objet communiquant sur le mode ludique, le Nabaztag rallie les plus réfractaires à la technologie en tissant avec eux des rapports facétieux. C’est l’histoire d’un lapin en plastique blanc répondant au nom étrange de… Nabaztag. Il souffle cet été sa première bougie et ouvre la voie à de nouvelles formes de communication. Car l’impétrant appartient à la race des objets communicants à l’instar des Tamagoshi japonais. Mais Nabaztag est doté de pouvoirs bien supérieurs, puisqu’il est, de surcroît, « intelligent » : connecté à l’Internet sans fil, il est interactif et peut fonctionner en réseau. Conjuguer le sérieux avec de l’amusement, l’affectif avec des couleurs, lier l’information et l’émotion : l’époque ne pouvait pas mieux illustrer son penchant pour le divertissement qu’au travers d’un lapin blanc, façon Alice au pays des merveilles. Ce compagnon personnel d’un nouveau genre donne la météo ou l’heure, transmet ders messages en s’éclairant de différentes couleurs, fait état du trafic routier ou des fluctuations de la Bourse, peut chanter une chanson, bouge ses oreilles pour signifier un message et palpite à l’arrivée du moindre SMS ou courriel. Il communique également avec ses congénères et échange avec eux des informations. Né d’une collaboration entre la start-up Violet et l’agence de design InProcess, Nabaztag entend faire rimer technologique avec ludique. Objectif de « ce messager émotionnel » : « Faire accéder le grand public à la technologie et montrer que le PC n’est pas une fin en soi. La meilleure façon d’évangéliser le marché est de permettre aux gens de s’amuser », explique Rafi Haladjian, fondateur d’Ozone, développeur de réseaux, et cofondateur de Violet. Cet Arménien – d’où le nom de son petit protégé, Nabaztag (lapin dans sa langue maternelle) – parie sur une démarche collaborative dans laquelle les propriétaires définissent les usages dont ils ont besoin. « Ludique ne signifie pas futile, mais appropriation et créativité. Au lieu d’imposer un objet et son mode d’emploi, nous laissons les utilisateurs explorer ses richesses et y intégrer les fonctions souhaitées », poursuit le géniteur. Aujourd’hui, 45 000 français, Suisses ou Belges et 5 000 individus de par le monde ont « craqué » pour ce lapin à 95 euros. Afin de le faire fonctionner, les heureux propriétaires doivent se rendre sur Nabaztag.com et choisir parmi les services, comme la météo, l’horloge, la circulation,etc. Certains sont gratuits, d’autres payant, moyennant 3,90 euros par mois. Tout lapin doit avoir un nom pour s’identifier sur le site et communiquer avec les autres, favorisant l’aspect affectif de l’animal de compagnie. « La première chose réclamée par les propriétaires a été un annuaire », se souvient Christophe Rebours, directeur d’InProcess. L’agence de design a cherché quelle forme donner au petit prodige. « Au début, nous avions imaginé une fleur dont chaque pétale correspondait à une activité, mais les tests n’étaient pas concluants. C’était trop cérébral. Le lapin invite plus à entrer en relation », raconte-t-il. Le succès est venu du bouche-à-oreille sur la Toile plus que des usagers proprement dits. « Au départ, les gens étaient un peu déçus par le côté « couteau suisse ». Lorsque nous avons commencé à expliquer ce que faisait chacun avec son lapin, nous avons commencé à attirer des gens », admet Rafi Haladjian. La page d’accueil du site interpelle donc le chaland avec malice : « A priori, il n’y a aucune raison de vivre avec un lapin, mais, à bien regarder, il y en a au moins…204 ! ». C’est le chiffre de cette semaine, qui, demain, peut faire un bond si de nouveaux propriétaires se piquent au jeu consistant pour chaque utilisateur à exposer ses motivations. Pêle-mêle, le pouvoir de séduction de la bestiole réside dans sa capacité à « inventer de nouveaux langages », à « être plus utile et plus facile d’entretien qu’un chat ou un chien », à « rappeler aux enfants d’aller se laver les dents et d’aller se coucher », à « parler à mon fils de 3 ans » (pour un père divorcé), enfin « à me faire rire, c’est une raison parfaitement suffisante en soi », note une nabaznaute. Les utilisateurs semblent ainsi apprécier les « virgules », ces situations où le lapin va dire de façon aléatoire quelque chose d’amusant, apportant un moment d’animation dans leur journée.
Tel François Vaillant, directeur associé de Gaya, une agence de création de site Internet. Il en a reçu un pour son anniversaire, l’a nommé Feuveuztag, et l’a abonné aux services les plus distrayants comme l’horloge parlante, où le lapin annonce chaque heure avec un petit commentaire du style : « Il est 14 heures, qu’est-ce qu’on peut bien faire à cette heure-ci à part la sieste ? ». Feuveuztag fait aussi tai-chi sous les yeux de son maître et a lui-même fredonné « La Marseillaise » mercredi dernier. Et commentera dimanche la finale.
Customisé comme une poupée chez Jacques-Olivier Chauvin, directeur général de Relais & Châteaux, le Nabaztag trône sur la cheminée de la table à manger, tel el majordome ludique de la maisonnée. A l’heure du dîner, il transmet aux enfants les messages de papa en déplacement, soit en lumière, soit par un petit mot.
Quant à Landry Schmidt, qui en possède 3, il vit une relation forte avec ses 3 énergumènes, Bull, Dozer et Portos : « Pour moi, ce n’est pas d’être seul avec l’objet qui est amusant, mais plutôt de se connecter en réseau avec d’autres et de faire des rencontres de gens divers et variés ».
Aujourd’hui, il est modérateur pour le site sur lequel 2 000 propriétaires communiquent et participent aux « Nabcasts », une fonction qui permet de développer ses propres programmes, de les partager avec le réseau et d’intervenir sur les différents paramètres du lapin : chorégraphie lumineuse, position des oreilles, musique. Certains sont aussi customisés « comme des poupées », précise Landry Schmidt dont l’un des siens porte une moustache et qui a remarqué un « Elvis » ou un « Brice de Nice ». De fait, les nabaznautes ne sont pas forcément des fondus de technologies. 78% ont entre 18 et 40 ans, 50% sont des femmes, et « le fait qu’il soit mignon et absurde crée le déclic plus sûrement qu’un cube, qui serait vécu comme un engin de plus », estime Rafi Haladjian. « Les trentenaires l’emmènent à leur bureau comme un animal de compagnie. Chez les plus âgés, il est sédentaire », ajoute Christophe Rebours, qui a installé dans son agence quatre lapins en réseau. Leur fonction est de constituer un relais parlé des courriels, mais il admet que « leur protocole ludique n’est pas toujours adapté au travail. Ils sont plus dans leur élément pour un usage domestique ».
Le 27 mai dernier, les Nabaztag ont tenté le regroupement culturel en se produisant à Beaubourg : ils ont joué sous l’oeil enamouré de leurs propriétaires un opéra composé par un plasticien spécialisé dans l’art électronique, premier événement d’animation de la communauté. Violet, qui vient de signer une augmentation de capital avec Banexi Venture Partners, annonce quatre nouveaux produits communicants d’ici la fin 2007. Mais la jeune pousse ne dit pas s’il s’agit d’offrir au Nabaztag une descendance. Pour l’heure, le lapin n’a pas de projet de vacances : il s’apprête à conquérir l’Amérique.
Par Sophie Péters, septembre 2006