Une agence d’enquêtes marketing propose cette méthode originale pour observer les consommateurs à leur insu. Avantage : ils ne trichent pas. Si vous voyez un homme suivre une cliente dans votre supermarché, n’appelez pas la police : c’est pour une étude ! Conçue par l’agence InProcess, basée en région parisienne, cette nouvelle technique consiste à filer les consommateurs dans leur vie quotidienne. Nestlé, la RATP, Orange, Procter & Gamble l’ont déjà adoptée. « Nous avons même des clients en Asie, comme Amore Pacific, leader du maquillage en Corée », se félicite Christophe Rebours, P-DG d’InProcess. Plus chère que les enquêtes classiques (comptez au moins 80 000 euros), cette méthode se révèle souvent plus fiable : contrairement aux questionnaires et aux observations dans des magasins reconstitués en studio, où les sondés trichent ou changent inconsciemment de comportement, la filature permet de les voir agir « au naturel ». Certes, les clients sont prévenus (et même dédommagés jusqu’à 100 euros pour le durée de l’étude). Mais ils ignorent à quels moments ils seront suivis, et par qui. Et pas question de confier le travail à des étudiants en mal d’argent de poche. Les « espions » d’InProcess sont des spécialistes en sciences humaines : sociologues, anthropologues ou ethnologues, capables de décrypter aussi bien les habitudes d’une ménagère que celle d’une tribu amazonienne. « Du coup, leurs analyses sont plus concrètes », note Thierry Coste, directeur marketing du fabricant de mobilier de bureau Steelcase, adepte de cette technique. Pour remplir leur mission, les agents d’In Process vont jusqu’à traquer le consommateur sélectionné dans la rue, à son travail et près de son domicile. Après avoir repéré les habitudes du « cobaye » (son supermarché habituel, son restaurant préféré…), ils l’attendent sur place puis notent tous ses faits et gestes. C’est ainsi que, pour Nestlé Waters, ils ont remarqué que les clients posaient tous les vingt pas leur pack de Contrex : souvent accompagnées d’un enfant qu’elles devaient tenir par la main, elles ne pouvaient pas changer de côté pour soulager leurs doigts meurtris. Un détail jamais évoqué dans les études classiques. InProcess a donc proposé une poignée en plastique composée de mousse que Nestlé a acceptée. La filature peut aussi servir à analyser les causes d’une baisse des ventes. Les responsables de Steelcase ont ainsi découvert un problème majeur dans la conception de leur bureau « table d’hôte ». Ces tables géantes étaient constituées de modules à assembler. Or, longs de 3 mètres, ils ne tenaient pas dans l’ascenseur… Du coup, obligés de les faire monter par l’escalier, les responsables achats des entreprises les boudaient. Steelcase a donc retaillé ses modules à 2,40 mètres. Pas facile de voir une évidence, même quand elle crève les yeux…
Par Véronique Yvernault, juin 2006